Le Zoo humain et la culpabilité blanche masturbatoire

« Où sont les mains blanches qui nous ont mis en cage ? »
Vous en avez probablement entendu parler. Un «artiste» du nom de Brett Bailey pense qu'il est créatif et innovant de placer des hommes noirs dans un mini-zoo, afin de divertir des blancs « progressistes » (« Exhibit B » au « Centre Barbican. »). Certaines personnes, dont le poète Lemn Sissay, ont développé tout un système de défense de cette « performance artistique » où la liberté d'expression, le droit inaliénable à l'expression artistique, la promotion du dialogue sur des sujets graves..., et j'en passe et des meilleurs, sont convoqués. Certains de ces raisonnements peuvent apparaître à première vue comme raisonnables, jusqu'à ce qu'on les examine dans le contexte du monde concret dans lequel nous vivons, et non pas en référence à l’univers de conte de fées dans lequel évolue certains progressistes blancs - et leurs serviteurs noirs et bruns -, ce réel pratique et concret qui est aujourd'hui habité par l' impérialisme humanitaire et les gesticulations post-raciales.

Pour ceux qui ne le savent pas, les hommes noirs ont en effet été exposés dans des « zoos humains », oui des zoos, à côté de chimpanzés et autres primates, en Europe et en Amérique, entre la fin du 19e siècles et la moitié du 20e siècle. C'est en partie l'origine des cris de singe et les peaux de bananes qui sont encore bien trop souvent dévolus aux sportifs noirs aujourd'hui. Ces zoos faisaient partie de la propagande occidentale visant à justifier l'apport de la civilisation à l'Afrique – et ce, en tuant 10 millions d'âmes au Congo, en exterminant pratiquement les peuples Herero et Nama et en installant des régimes d'apartheid dans une grande partie de l'Afrique australe, sans parler des millions d'africains expédiés à travers l'Atlantique, ou des famines provoquées en Irlande et en Inde.

 Cet avatar au 21e siècle des zoos humains du 19e siècle est dégoûtant, déplorable et ne vise en aucune manière à ce que ses partisans prétendent qu'il veut réaliser.

Je vais vous expliquer pourquoi. Cette exposition, est bien sûr, destinée au public spécifique du « Centre Barbacan » : un certain type de personnes de « race blanche » avec un revenu confortable. Si son objectif vise à promouvoir le dialogue, l'espace privilégié du Centre Barbican, fréquenté si rarement par un public plus large, est-il le lieu le plus adapté et le plus pertinent ? Plus important encore, quel est le type de profil psychologique de cette personne qui paierait £ 20 pour voir des « noirs » exposés dans des cages?

 De quels types de « cosmétique » et de comportement ce type d' individus peut-il se prévaloir ? Si vous êtes une personne de couleur qui a un rapport conscient à lui-même, vous les avez déjà rencontrés. Ces « progressistes » qui aiment à nous dire comment nous devrions nous sentir vis-à-vis de notre histoire. Comme la femme arrogante qui m'a envoyé un message sur twitter – sans même me demander mes raisons - pour me faire savoir qu'elle (personne importante) a été «déçue » que je soutienne cette pétition contre « Exhibit B ». Ou comme cet enseignant de ma 4ème année primaire qui m'a « appris » que William Wilberforce « a arrêté l'esclavage de son propre chef» (comme vous le savez, les hommes blancs sont omnipotents). Ce genre de personnes qui quitteront cette exposition (en supposant qu'ils aillent jusqu'au bout) en se congratulant elles-mêmes : «Quels esprits libres et sans tabous nous sommes ! ». La question est de savoir qui est ce « nous »?

 Faire la promotion de ce type d'« art » a-t-il un point commun avec les luttes très réelles contre l'impérialisme (raciste) euro-américain avec lequel le « sud » se bat toujours (notamment en Afrique du sud d'où Bailey est natif) ? Ou préférerait-on s'engager dans une activité qui consiste à se masturber avec sa culpabilité, en contemplant des corps noirs attachés, « bondage », cassés, impuissants ? Et ceci nous emmène au cœur du propos. Bon nombre de personnes aujourd'hui désirent secrètement pouvoir donner un coup de pied sadique à des corps noirs inertes, des corps chargés d'impuissance pornographique. C'est un thème commun. Je ne peux pas m'empêcher de me rappeler de la ministre suédoise de la culture qui mangeait un « coon cake » représentant le corps d'une femme noire excisée, particulièrement caricaturale, qui lui aussi avait été conçu par un « artiste ». Ce « coon cake » était également censé provoquer la discussion, nous disaient nos amis progressistes. 

C'est du même bâton merdeux dont est fait le morceau de propagande raciste de Monsieur Bailey.

 Quant à la mentalité des noirs qui acceptent que leur corps soient utilisés à cette fin, nous pourrions écrire un livre entier sur le sujet et beaucoup l'ont déjà fait, essayez ceux de Frantz Fanon pour commencer.

 Oui l'art est censé élargir la liberté d'expression, mais pour dire vrai, la libre expression est toujours limitée par les réalités politiques du jour, localisée. Pour offrir une analogie, un artiste allemand, à qui on aurait donné une plate-forme semblable au Centre Barbican pour qu'il mette en scène des corps empilés de juifs vivants dans une chambre à gaz de carton-pâte, cela aurait-il été considéré comme de l'art? Ceux qui pensent que la comparaison est excessive, soit ils ignorent les faits historiques, soit ils pensent que la vie des africains est de piètre valeur.

Et s'il s'agit de provoquer un débat autour de l'histoire coloniale, pourquoi ne pas avoir exposé des Chinois enfermés dans un semblant d'opiumerie par exemple ? Oui, pourquoi ? Parce que la Chine aujourd'hui est une grande puissance. Cette figuration du peuple chinois en victime, à qui on peut offrir des coups de pied bon marché, serait parfaitement ridicule.

 Pour confirmer le manque total de compréhension de ces questions, voici le fatras progressiste qui tient lieu de pensée à M. Bailey

 «Exhibit B n'est pas une partie de l'histoire des noirs destinée à un public blanc. C'est un fragment de l'histoire de l'humanité ; il entend traiter d'un système de déshumanisation qui affecte chaque membre de la société, indépendamment de la couleur de la peau, des origine ethnique ou culturelle, et qui parcourt l' humanité du « regardant » au « regardé »... »*

 Ainsi il ne s'agit pas de relation entre « noir » et « blanc », mais de relation entre « regardant » et « regardé ». M . Bailey nous prendrait-il pour des cons ?

Si des « artistes » comme M. Bailey veulent vraiment jouer la provocation et initier des débats autour de sujets comme le colonialisme européen ou la suprématie blanche (génocidaire), j'ai mille choses plus intéressantes à leur proposer. Par exemple, le Centre Barbican pourrait envisager une exposition avec des personnes de race blanche qui joueraient le simulacre des milliers d'esclavagistes, et leurs hommes de mains, que nos ancêtres ont majestueusement entaillé jusqu'à la mort lors de la révolution haïtienne ? Ou ils pourraient envisager de réviser le mythe de la prééminence de Gandhi dans la lutte pour l'indépendance de l'Inde, en érigeant un monument en hommage à Bhagat Singh ou à la Reine Rani qui eux préférèraient utiliser la violence, à l'image du colonisateur, dans leur quête de liberté ? Ou enfin, puisque M. Bailey est un Sud-Africain blanc, pourquoi ne pas faire de l'art avec les corps blancs morts et mutilés, fruits des luttes anti-coloniales réalisées par des africains, afin de gagner la parcelle limitée d'indépendance qu'ils ont aujourd'hui ?

 Comme il serait libérateur (tout particulièrement pour les blancs), et en phase avec la réalité, de savoir que la liberté dont les personnes noires ou brunes jouisse aujourd'hui n'est pas venu d'Abraham Lincoln, de William Wilberforce, ou de la Seconde Guerre mondiale, mais plutôt du sang que nos ancêtres courageux ont versé en sacrifice. Liberté acquise de haute lutte par le combat contre les Européens, dotés significativement d'une plus grande puissance militaire, et du combat contre leurs oppresseurs de l'intérieur et leurs collaborateurs. Ils ne se sont pas assis sagement en attendant le salut d'hypothétiques sauveurs blancs, contrairement à ce que l'imaginaire hollywoodien charrie.

Ou peut-être, plus cyniquement, les images que cette exposition véhicule ne font que renforcer la dominance blanche. Peut-être que les spectateurs de cette exposition ne sont pas satisfaits par l'image encore dominante de l'Afrique, c'est-à-dire un territoire infesté de maladies, déchiré par la guerre et habité par des peaux noires sans vie ? Peut-être ne sont-ils pas assez satisfaits par l'incarcération de masse servant leur privilège ou par ces corps noirs abattus par la police toutes les semaines aux USA et ailleurs ? Peut-être entendent-ils pousser la chose plus loin encore, en renvoyant le nègre à sa juste place, celle des cages et des chaînes ?

 Pour conclure :

 Le Centre Barbican, comme presque toutes les autres institutions artistiques importantes de ce pays , reçoit de l'argent public. Il a ainsi pour mission de servir le « bien public ». Donc, si vous acceptez que cette exposition outrepasse cette mission de « bien public » et qu'elle relève d'une culpabilité orientaliste blanche, au caractère masturbatoire. Et que, non seulement, elle n'aura absolument aucun résultat utile, mais qu'elle ne servira pas à l'empowerment des millions de descendants de victimes de la colonisation européenne, ici, à Londres, il vous faut signer cette pétition. Et laisser M. Bailey s'en retourner d'où il venait avec son projet insensé.

Akala

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